Les anciens osent le dire. «Le
camp n'est plus le camp…» Il reste bien un bâtiment, «comme
autrefois» et des lieux de mémoire, «mais peu, bien peu de ce qui
fut le CAFI, le centre d'accueil des Français d'Indochine.» Un
camp, un vrai, avec des barbelés, le lever des couleurs et un
règlement strict. Retour en arrière… La défaite de Dien Bien
Phu, le 7 mai 1954 et les accords de Genève qui suivirent mirent un
terme à la guerre d'Indochine. Progressivement, jusqu'en septembre
1956, le corps expéditionnaire français et l'administration se
retirèrent. C'est à ce moment-là que 30000 rapatriés, venus en
bateau traversèrent tout le globe, abandonnant tout leur passé,
pour débarquer à Marseille. Celles et ceux qui avaient de la
famille en France furent moins perdus que les autres. Ceux-là
l'administration française les a placés dans des centres d'accueil
provisoires dont les plus importants sont Sainte-Livrade-sur-Lot
(47), ou Noyant-d'Allier (03). Dans 36 baraquements prévus d'abord
pour des militaires et pour les réfugiés espagnols, en préfabriqué
aux toits de tôle ondulée et sans confort furent hébergés 1200
personnes, dont 740 enfants, beaucoup de veuves et de personnes
âgées. «Les douches étaient à l'extérieur des bâtiments, les
habitations n'avaient aucune isolation, il faisait froid l'hiver et
très chaud l'été» témoignent celles et ceux qui vécurent un
moment de leur existence dans ce camp, «à la discipline de fer ou
la seule possession d'un réfrigérateur ou d'une télévision était
considérée comme un signe extérieur de richesse engendrant
l'exclusion définitive de la cité.»
Et le temps passa. Les enfants des «ayants droit» quittèrent le camp du Moulin du Lot pour s'éparpiller et vivre leur vie loin du «petit Vietnam». L'école qui accueillait les petits en classe de maternelle disparue au fil des ans ; l'usine de chaussures ferma ses portes. Et nous voilà au début des années quatre-vingt. L'État signa une convention avec la commune de Sainte-Livrade-sur-Lot pour lui céder le bâti, le foncier et la gestion avec une promesse de subvention pour le fonctionnement. En 1983, la commune décida de municipaliser le C.A.F.I. et de l'intégrer au reste de la ville. En 1999, la municipalité s'engagea, avec l'aide de l'État, dans un programme dit de «travaux d'urgence» avant de lancer, en 2002-2004, une enquête relative à la réhabilitation des lieux. Un incendie qui ruina la Maison des Jeunes et de la culture alerta les habitants du camp et les autorités. Les bâtiments à la limite de la salubrité devenaient dangereux pour les occupants. Un deuxième incendie, dramatique celui-là, avec le décès d'une mamie démontra l'urgence : on devait aux derniers rapatriés d'Indochine, un toit décent pour vivre, là, leurs derniers jours.
Malgré les manifestations des
habitants du camp qui ont montré leur hostilité à ce programme de
réhabilitation, les opérations de démolition ont commencé à
partir de 2010.
Trois stèles pour les 60 ans
Le CAFI devenait de moins en moins un camp d'accueil pour devenir, via des logements sociaux, un quartier de Sainte-Livrade. La mobilisation, quand même, fit son effet. Le combat des habitants et des associations pour un projet de lieu de mémoire a abouti, à la préservation d'un espace mémoriel dans lequel quatre bâtiments ainsi que les anciens lieux de culte (pagode et église) constituent les derniers témoins de l'ancien C.A.F.I. Si les choses ont changé dans l'ordonnancement de l'ancien CAFI, si les bâtiments ont disparu, l'essentiel reste. La mémoire. Et comme tous les ans, autour du 15 août, le camp va revivre, remonter le temps, poursuivre le dialogue entre les générations. Et dans le cadre de la célébration du soixantième anniversaire de l'arrivée des Français Rapatriés d'Indochine au CAFI de Sainte Livrade sur Lot, l'association CEP-CAFI fait ériger trois stèles, un triptyque «Mémorial CAFI» en acier inox portant la liste des noms des chefs de famille rapatriés d'Indochine arrivées en 1956 au CAFI, ainsi que des familles arrivées des camps de Bias et de Noyant d'Allier dans les années 1960. «Forcés de quitter le Viêtnam pour rejoindre la France en 1956, ils ont vécu au CAFI durant de longues années et nous ont permis par leurs sacrifices, de faire de nous ce que nous sommes devenus aujourd'hui. La plupart d'entre eux ont disparu sans aucune reconnaissance. Le 14 août 2016, nous devons donner au soixantième anniversaire du CAFI un éclat particulier. En effet, avec la rénovation du CAFI, court le risque de voir disparaître avec les traces du passé, la signification historique de ces lieux. Depuis 1956 le CAFI était devenu le dernier symbole de la présence française en Indochine. À ce titre un périmètre a été préservé au CAFI afin de manifester son caractère historique unique en France, à travers les vestiges des soixante ans passés dans ces lieux. Ce lieu a été reconnu comme un lieu de mémoire. Nous continuons à lutter pour faire de cet endroit un lieu de mémoire digne de ce nom.»
Jean-Louis
Amella