Les baraquements du camp de 1956 disparaissent tous, petit à petit, pour faire place à des logements aux normes dans ce qui deviendra un quartier de Sainte-Livrade .
Depuis
1956, le camp du «Moulin du Lot» est un lieu d'accueil provisoire
des anciens d'Indochine. D'ici la fin de l'année, il deviendra un
quartier de Sainte-Livrade. Mais si les baraquements ont disparu,
rien ne sera oublié.
C'est
toujours le CAFI. Mais ce n'est plus tout à fait le CAFI. Il restera
à la fin de la longue période de rénovation quelques baraquements
témoins des 60 dernières années vécues ici. Il restera les deux
lieux de culte, la pagode et l'église. Il restera un lieu de
mémoire. Au fond, à gauche, en entrant. Bien sûr il restera aussi
les deux épiceries exotiques redéployées dans des bâtiments
neufs. Il restera enfin, dans les nouveaux logements, des mamies,
«les ayants droit» pour reprendre un terme très administratif et
trop pudique. Les déracinés semble un mot plus exact.
Chantier de jeunesse
Celles
qui quittèrent définitivement le Vietnam après 1 956 pour ne plus
jamais y revenir. Et qui débarquèrent un matin, après une escale à
la gare d'Agen et quelques jours d'attente dans un hôtel du port de
Marseille. Les bateaux de l'exil, «Captain Cook» pour les uns,
«Syrénia» pour les autres, donnèrent à ce voyage sans retour des
airs de croisière. Mais dans les cabines les mères de famille
savaient déjà que l'avenir serait difficile. Les enfants, eux,
jouaient dans les coursives et sur le pont. Insouciants. Mais peut-il
en être autrement quand on est un enfant ?
«Bien
sûr les baraquements n'existent plus et les mamies peuvent enfin
avoir un chauffage digne de ce nom, des logements aux normes et une
fin de vie digne.» N'empêche. Les exilés de 1956 avaient
reconstruit dans un univers quasi carcéral, un «petit Vietnam» et
des logements presque agréables. «Je restais toujours surpris, en
poussant la porte de certaines habitations, de la capacité des
Vietnamiens de construire, d'aménager, de rendre vivable ce qui ne
l'était pas a
priori.
Les plafonds avaient l'épaisseur et la consistance du carton. Les
murs étaient épais comme deux feuilles de papier à cigarettes.»
Mais, «on vivait bien. Peut-être parce qu'avant de sortir du camp
on ne connaissait pas autre chose» témoignent les Eurasiens,
adultes aujourd'hui, qui couraient, jouaient, vivaient libres (?),
ici, avant de quitter le camp.
Le
camp ? «En septembre 1941, l'ensemble des terrains et les
cantonnements du Moulin du Lot sont remis aux «chantiers de
jeunesse». 1 500 jeunes accomplissent leur temps d'armée. Les
chantiers de jeunesse française sont dissous en 1944 : la plupart
des jeunes ont rejoint le maquis.
Le
dragon blanc avait rendez-vous avec le dragon rouge. Ils ont dansé,
jeudi. Ils ont dansé hier et ils devraient danser et danser encore
durant ce mois de mars.
Devant
les deux épiceries du camp de Sainte-Livrade des chapelets géants
de pétards ont tenté (et réussi) de chasser les deux dragons. Dans
cet univers sonore avec une musique lancinante d'un tambour frappé
régulièrement, l'année de la Chèvre a fait son apparition au
calendrier lunaire des Asiatiques du coin. «Tant qu'il y aura la
danse des dragons, des pétards et des gens pour vivre ce moment
unique dans l'année, le camp de Sainte-Livrade restera le CAFI.» Si
ce spectacle insolite disparaît, alors le CAFI sera sûrement un
simple quartier avec des habitations HLM. «De toute manière, que
sera le CAFI quand les derniers ayants droit auront quitté ce monde
?» s'interrogent les enfants et petits-enfants des rapatriés de
1956. Et d'ailleurs, «qu'était le CAFI avant, au début de
l'histoire ?» Il faut donc remonter le temps… «Cette parcelle de
6 hectares fut choisie par les décrets-lois de Laval et Daladier, en
1935, pour construire sur les 6 hectares du lieu-dit, un cantonnement
destiné aux ouvriers qui devaient construire une poudrerie entre
Casseneuil et Sainte-Livrade.» Des soldats russes, prisonniers de
l'armée allemande à la poche de Royan précéderont des «fusiliers
de l'air» à l'instruction et des régiments coloniaux.
Les drames du camp
«Le camp n'est plus le camp. Et alors ?» «Les 300 logements de 2, 3 ou 4 pièces ne comprenaient ni salle d'eau, ni eau chaude et les w.-c., comme les douches étaient à l'extérieur. Et le camp était réellement un camp, sous le contrôle de l'armée française, avec lever des couleurs le matin.» Loin de Sainte-Livrade, le CAFI était «le camp des Chinois.» Une pointe d'incompréhension. Et dans ces baraquements, des drames, des incendies. La MJC détruite entièrement vers les années 80. Une mamie morte dans l'incendie de son logement au début des années 2000. «Il était temps de mettre tout aux normes.»
Et
nous voilà aujourd'hui. Le camp fêtera l'an prochain ses 60 ans.
«Vous savez, nous les Eurasiens, on ne s'est senti réellement
Français que lorsque le camp d'origine, le CARI est devenu le CAFI :
les rapatriés d'Indochine étaient eux devenus des Français
d'Indochine.» Et tout était changé
Jean-Louis Amella